« On sait peu de choses sur cet homme, en dehors de ce qui transparaît de ses récits. Il est probablement né à Jerez de la Frontera, en Andalousie, vers 1490.Il porte un nom illustre, dont la signification (Cabeza de Vaca veut dire «Tête de Vache»), derrière une apparence quelque peu étrange, révèle la qualité. Ce nom lui vient de sa mère, Teresa Cabeza de Vaca, descendante de ce berger qui s’est d’abord appelé, plus simplement, Martin Alhaja, et sans qui les Espagnols n’auraient peut-être pas remporté l’une des plus grandes victoires de leur histoire.
Nous sommes en 1212; la reconquête du territoire sur les Maures se poursuit. L’armée chrétienne, unifiée, parrainée par le pape Innocent III et commandée par trois rois, Pierre II d’Aragon, Sanche V de Navarre et Alphonse VIII de Castille, traverse la Sierra Morena, au-dessus de Grenade, dont les cols sont gardés par l’ennemi. Survient un berger qui connaît un passage libre : il l’indiquera au moyen d’un crâne de vache fixé sur un pieu. Les chrétiens déferlent par cette voie et anéantissent l’armée de Yacoub : c’est, le 12 juillet 1212, la fameuse victoire de Las Navas de Tolosa. Le berger est anobli, et son nouveau nom perpétuera la part qu’il a prise à la victoire.
Du côté paternel, le jeune Alvar n’est pas plus mal loti. Il est le petit-fils de Pedro de Vera, celui qui a conquis les Canaries en 1480, et qui ne s’est pas privé d’en ramener des esclaves, ce qui lui a valu quelques démêlés avec l’Eglise. Bref, une famille riche et réputée. Ensuite, des conjectures : le jeune homme participe peut-être, le 11 avril 1512, à la bataille de Ravenne, livrée contre les Français, et à une expédition chez les Maures. Deux passages de son premier texte peuvent permettre de penser qu’il connaît l’Italie et l’Afrique du Nord. Quoi qu’il en soit, il est assez bien considéré pour obtenir, en 1527, le poste de trésorier du Roi et «alguacil mayor», dans l’expédition que prépare l’illustre Panfilo de Narvaez, en vue d’aller conquérir la Floride.»
Extrait de «Relation et commentaires du gouverneur Alvar Nunez Cabeza de Vaca sur les deux expéditions qu’il fit aux Indes» ; éditions Mercure de France 1980 ; traduction de H. Ternaux-Compans; édition présentée et annotée par Jean-Marie Saint-Lu.
Après bien des déboires, l’expédition de Narvaez prendra pied en Floride en avril 1528, atteindra à grand peine les Appalaches en juin 1528. Elle regagnera la mer un mois plus tard, décimée, ne retrouvera pas ses vaisseaux. Les hommes affaiblis, sans provisions ni outils, construiront cinq barcasses et se lanceront sur le Golfe du Mexique de septembre à novembre 1528, au plus fort des tempêtes. Très peu en sortiront vivants ; certains Espagnols se livreront à l’anthropophagie. Cabeza de Vaca et son petit groupe seront recueillis par des Indiens, puis réduits en esclavage. Cabeza de Vaca restera vite seul, esclave, puis colporteur d’une tribu à l’autre.Il retrouvera les trois derniers survivants (sur plus de 400 hommes) et entamera avec eux une longue fuite vers les possessions espagnoles de Mexico.
Un jour, les Indiens mettront les Espagnols en demeure de guérir un malade. Malgré leurs réticences, les chrétiens s’exécutent, devenus chamanes malgré eux. Alors commence une marche de deux ans, ponctuée de guérisons, qui les mènera du Mississipi aux côtes de Californie, suivis d’une foule grandissante de «disciples» indiens. En mars 1536, ils rencontreront enfin une escouade espagnole venue opérer une razzia pour se procurer de la main-d’œuvre. Après avoir refusé de livrer «ses» huit cents fidèles, Cabeza de Vaca sera rapatrié en Espagne, via Mexico et Cuba. Il aura vécu sept années parmi les Indiens.
De retour en Espagne en 1537, Cabeza de Vaca obtient en 1540 du roi et de la Cour des Indes le titre de Gouverneur du Rio de la Plata. Cette colonie (Argentine et Paraguay actuels) est en mauvaise posture. Cabeza de Vaca est chargé de la reprendre en main et de réussir pour l’Espagne une percée par le sud-ouest jusqu’au fabuleux royaume du Pérou, contournant les possessions portugaises (Brésil) qui en barrent la route directe par l’Atlantique. Cabeza de Vaca, à la tête de son expédition atteint Asuncion en mars 1542. Il pacifie l’ancienne colonie et continue la percée vers le Pérou. En 1544 il est destitué à la suite d’une mutinerie de ses lieutenants qui n’acceptent pas son respect des Indiens. Ramené en Espagne enchaîné, il passe en jugement sur de fausses accusations, est condamné, puis probablement gracié tardivement, et finalement oublié.
Ses lieutenants félons ont réussi la jonction avec le Pérou. La Cour des Indes réalise la fausseté des accusations portées contre Cabeza de Vaca. En 1546, il est amnistié et nommé juge à Séville par l’Empereur Philippe II. Il meurt en 1559, retiré dans un couvent.
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Moi, Cabeza de Vaca
Je suis né quand Colomb armait ses caravelles,
Quand le roi Ferdinand et la reine Isabelle,
De l’Espagne chassaient les Maures en retraite.
Un siècle finissait avec la Reconquête.
Ensuite, vint le temps des grands conquistadors,
Avec l’avènement de notre Siècle d’Or
Notre renom remonte à l’an mil deux cent douze.
Face au More régnant sur la terre andalouse,
Aux Naves de Tolose, à moins d’un contre quatre,
Les Chrétiens réunis s’apprêtaient à combattre.
Mon ancêtre Martin, un simple roturier
Qui passait pour hardi, un vrai aventurier,
Avait, tel Hannibal, vu quelle était la faille
Pour tourner l’ennemi et gagner la bataille.
Il avait découvert un sentier de montagne
Débouchant sur le flanc des Maures en campagne.
Il en marqua l’entrée d’une tête de vache.
Ennobli, c’est ce nom qu’il prit, avec panache.
(L’Inconquistador, extraits pp.22-23)
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1490
Né à Xeres, petit-fils de Pedro de Vera, conquérant des Canaries.
1527
Départ de San Lucar de Barrameda, Trésorier du Roi dans l’expédition de Panfilo de Narvaez.
1536
Après un périple de près de 8000 km à travers le Sud du continent nord-américain èmaillé d’aventures, naufrage, esclavage (épopée rapportée dans sa Relation à Charles-Quint et dans ce livre), arrive à rejoindre Mexico avec trois compagnons.
Retourne en Espagne l’année suivante.
1540
Cabeza de Vaca en Amérique Latine: nommé Gouverneur du Rio de la Plata, monte une expédition vers le Brésil.
1542
Découvre les chutes d’Iguassou. Fonde la Cité des Rois. Recherche le mythique»Eldorado».
1546
Condamné par le Conseil des Indes, est exilé à Oran. Amnistié et nommé Juge par l’Empereur Philippe II.
1559
Mort à Séville (retiré dans un couvent).
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Entre 1537 et 1540, Cabeza de Vaca, revenu en Espagne, écrit le récit de son premier voyage, «Naufragios».Plus tard, à la suite de son procès, Cabeza de Vaca ajoute à ses «Naufragios» ses «Commentaires du gouverneur du Rio de la Plata», qui relatent sa seconde expédition.
Les «Naufragios» ont fait l’objet d’une première édition en 1542.Ils ont été réédités une dizaine d’années plus tard, suivis des «Commentaires...».
Les deux ouvrages sont traduits en anglais et édités à la fin du dix-neuvième siècle.
Plus près de nous, Haniel Long, écrivain américain, passionné par les civilisations précolombiennes et par la conquête du Nouveau-Monde, écrit «Interlinéaire à la merveilleuse aventure de Cabeza de Vaca», une tentative très originale de ré-écriture du récit fait par Cabeza de Vaca de son premier voyage, une synthèse (teintée de spiritualisme) qui reconstitue à la première personne l’expérience vécue par le voyageur dans un langage dépouillé et poétique.
Editions P.J. Oswald 1970 ; préface de Henry Miller.
Enfin trois traductions en français du texte original de Cabeza de Vaca paraissent coup sur coup
«Relation et commentaires du gouverneur Alvar Nunez Cabeza de Vaca sur les deux expéditions qu’il fit aux Indes» ; traduction de H. Ternaux-Compans ; présentée et annotée par Jean-Marie Saint-Lu ; éditions Mercure de France, collection Le temps retrouvé 1980.
Cabeza de Vaca «Naufrages et relation du voyage fait en Floride. Commentaires de l’adelantado et gouverneur du Rio de la Plata»; introduction, notes et traduction revue par Patrick Menget ; édition Fayard, «La bibliothèque des voyageurs» 1980 (Deux traductions de l’oeuvre complète de Cabeza de Vaca, comportant le récit de ses deux voyages).
Alvar Nunez Cabeza de Vaca «Relation de voyage 1527-1537» ; préface d’Yves Berger, traduction et commentaires de Bernard Lesfargues et Jean-Marie Auzias ; éditions Actes Sud, collection espace-temps, 1980 (Une traduction richement annotée du récit du premier voyage de Cabeza de Vaca en Amérique du nord).
Enfin, un roman
«Le conquistador perdu» - La fabuleuse odyssée indienne de Cabeza de Vaca (1528-1536)», de Jean-Louis Rieupeyrout ; Romans Payot, 1992 (Une adaptation romancée du premier voyage de Cabeza de Vaca).
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